lundi 17 septembre 2012

Les Roms IV

l’europe au miroir des roms

Les politiques européennes depuis 1989
par Cette France-là 
28 août 2012
À l’heure où Manuel Valls poursuit la politique de « démantèlement des camps de roms » de ses prédecesseurs Hortefeux et Guéant, il nous a paru utile de publier le chapitre édifiant qu’a consacré le collectif Cette France-là à la discrimination et à la violence étatique que subissent, en France de manière particulièrement spectaculaire et brutale, mais plus largement dans toute la « Communauté européenne », des populations qu’en bonne logique, on accuse en même temps de tous les maux.

Environ un quart des Européens seraient mal à l’aise à l’idée d’avoir un Rom pour voisin. À titre de comparaison, seuls 6% ne seraient pas à l’aise vis-à-vis d’un voisin d’une origine ethnique différente en général  [1].
Surnommés Tsiganes, Bohémiens, Gitans, Romanichels, mais se nommant eux-mêmes de préférence Roms ou Rroms  [2], Manouches, Sintés, Kalés, et Gitans dans le sud de l’Europe, ils seraient, d’après l’European Roma Rights Center, entre 12 et 15 millions sur le continent européen, et entre 7 et 9 millions dans l’Union européenne. Les multiples noms qui les désignent illustrent la diversité des groupes qui, selon les régions où ils se sont fixés en Europe, ont connu des histoires très différentes. Cette diversité traduit aussi la difficulté qu’ont les Européens à appréhender un peuple qui n’avait pas, jusque dans les années 1970  [3], de terme global pour s’identifier, tout au moins selon les critères des États nations.
Comme l’explique Jean-Pierre Liégeois, fondateur du Centre de recherches tsiganes :
« Les Roms ne rentrent pas dans les idéologies nationales. Ils forment des groupes, avec des identités socioculturelles différentes, et ne se pensent pas membres d’une identité nationale ».  [4]
Un peuple sans État de référence donc, ni ambassades pour entrer en négociation avec les autorités administratives. Aujourd’hui encore, les Roms sont partagés entre l’affirmation du droit de citoyenneté individuel, à l’intérieur de chaque nation, et le principe d’une reconnaissance collective en tant que minorité nationale dans toute l’Europe  [5].
Le mot rom signifie « homme ». La seule dénomination partout reconnue par eux est celle des gadgés, terme qui désigne tous ceux qui ne sont pas roms. Outre cette identification négative, ils se réclament surtout de l’appartenance à tel ou tel groupe familial, ainsi que d’une complexe structure de liens de parenté. Présents depuis des siècles dans les différents pays européens, c’est la force de leur organisation sociale qui leur a permis de résister à toutes les tentatives d’intégration, et plus encore de rejet, de la part des sociétés environnantes.
Car leur existence n’a cessé au cours des siècles de soulever méfiance, hostilité, mais aussi fantasmes : depuis la rumeur des Tsiganes voleurs de poules et d’enfants, jusqu’à l’imagerie romantique des diseuses de bonne aventure, danseuses et musiciens nés, vivant dans leurs roulottes. Si certains Roms aiment se tenir à distance des autres sociétés, et parfois jouer des fantasmes projetés sur eux, force est de reconnaître qu’ils ont payé cher le prix de leur différence supposée. En dépit de la diversité des groupes familiaux et de vécus fort différents, les Roms ont fait l’objet de manière récurrente au cours de l’histoire de mesures collectives de répression. Jean-Pierre Liégeois résume ainsi les attitudes qui ont prévalu à l’égard des Roms :
« Le rejet, par le bannissement hors du territoire de l’État, a été une attitude quasi unanimement adoptée par les pouvoirs publics, répétée loi après loi, quelquefois année après année, et pendant des siècles, par exemple pour la France depuis le XVIe jusqu’au milieu du XXe siècle. Les interdictions portent sur le séjour (d’où le bannissement), mais aussi sur le nomadisme (interdiction de se déplacer) et la sédentarisation (interdiction de se fixer, de construire des maisons, interdiction aux populations d’en vendre aux Tsiganes). Au bout du compte c’est l’existence même du Bohémien qui est interdite. »
Lorsqu’il n’est plus possible de le repousser hors du pays,
« il reste à maintenir le dissident hors de la société, soit en l’enfermant, (…) soit en le confinant dans une surveillance quotidienne en dehors de la société ».
L’habitude d’envisager les Roms comme une population « à contrôler » est à l’origine de la loi de 1912 en France, une loi spécifique pour les « nomades » qui prévoyait l’obligation pour chaque individu d’être porteur d’un carnet anthropométrique à faire viser lors de chaque déplacement. Dans ce carnet, qui devait être présenté aux gendarmes à l’arrivée et au départ d’une ville afin qu’ils apposent le sceau de la commune, figuraient les empreintes digitales, les photos de face et de profil, les caractéristiques physiques et les condamnations éventuelles du chef de famille. Il était assorti d’un livret collectif – équivalent du livret de famille – qui détaillait l’état civil de tous les membres de la famille. Bien que français depuis des générations pour la plupart, les « nomades » se voyaient donc attribuer un statut d’exception.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le contrôle se transforme en enfermement : les Tsiganes français seront 6000 à être parqués par le régime de Vichy, dès 1940 dans des camps d’internement à Montreuil-Bellay, Jargeau, Poitiers, Rivesaltes, Saliens, etc.  [6]. Ils ne seront relâchés qu’en 1946, bien après la Libération. Aujourd’hui, les historiens redécouvrent en parallèle le rôle joué par les Tsiganes dans la résistance en France.
Il faut attendre 1969 pour que le carnet anthropométrique disparaisse et soit remplacé par un carnet de circulation. De là vient l’appellation « gens du voyage »  [7], exclusivement française et administrative, pour désigner ceux qui doivent posséder un carnet de circulation pour se déplacer.
En 1990, la loi Besson devait protéger dans une certaine mesure les droits des voyageurs à stationner dans les communes, sur des terrains prévus à cet effet. Vingt ans après, celle-ci n’est que très partiellement appliquée. Le Secours catholique souligne les difficultés importantes auxquelles continuent de se heurter les voyageurs : terrains ou aires de stationnement insuffisants, pour la plupart dépourvus d’installations sanitaires, accès difficile à une scolarisation adaptée, difficultés pour l’accès aux droits, notamment au droit de vote, pour lequel trois années de résidence sont nécessaires. En France, ce nom de « gens du voyage » suscite aussi une certaine confusion :
- d’une part les « gens du voyage » sont loin d’être tous roms  [8] ;
- d’autre part les Roms sont loin d’être tous des voyageurs (en Europe, on estime même que 95 % d’entre eux sont sédentarisés).
Mais les clichés ont la vie dure. D’autant que s’imaginer les Roms nomades permet d’ignorer plus facilement leur volonté d’intégration locale et aussi de minimiser plus facilement les conséquences de leurs expulsions (« De toute façon ils bougeront, alors… »). En Europe orientale, les Roms n’aiment pas utiliser le terme « Tsigane », qui fait référence à un passé collectif douloureux et particulièrement violent. Dans les principautés roumaines, les Tsiganes, surnommés de cette manière, ont été réduits à l’esclavage jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les nazis aussi utilisèrent ce terme, Zigeuner (« Tsiganes » en allemand), dont le Z fut tatoué sur les poignets des déportés dans les camps de concentration. La haine culmine pendant cette période, que les Roms nomment le Samudaripen – le « génocide » en romani. Le fait qu’on ignore encore aujourd’hui combien exactement disparurent dans les camps d’extermination nazis (les estimations varient de 50000 à 500000) atteste de la méconnaissance dans laquelle a longtemps été maintenu ce génocide. En janvier 2009 a été lancée, à Berlin, la construction d’un mémorial dédié aux Sintis et aux Roms tués par les nazis en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale.

Tout au long de la guerre froide, les Roms d’Europe de l’Est ont été l’objet des politiques d’assimilation et de sédentarisation pratiquées par les démocraties populaires. Toutefois, quand le mur de Berlin et le système soviétique s’effondrent, la précarisation se substitue rapidement à la normalisation forcée. Faiblement formés, les Roms vont être les premières victimes du chômage – alors que, jusque-là, une majorité d’entre eux avait un travail assuré par le système socialiste. Leur pauvreté s’accroît donc brutalement.
Pendant que les sociétés d’Europe centrale et orientale se fragilisent économiquement et socialement, pour leur part, les nationalismes se réveillent. Les Roms vont faire l’objet de nouvelles flambées de violence en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie et dans les pays d’ex-Yougoslavie, qui s’embrasent. Dans les Balkans, les Roms, pris à partie par les uns et les autres dans un conflit qui ne les concerne pas, vont payer un lourd tribut. En Croatie, en Bosnie et au Kosovo, ils sont la cible de pogroms.
Pour une fraction des Roms d’Europe orientale, souvent sédentarisés de très longue date, ces bouleversements entraînent le retour à la mobilité. Fuyant la misère et les persécutions, une petite partie des Roms de Roumanie, de Bulgarie et de Yougoslavie mettent le cap vers l’ouest de l’Europe.
L’arrivée des Roms, qui sont très visibles dans le paysage urbain, alors même qu’ils sont peu nombreux, suscite la peur d’un exode massif dans les discours politiques et médiatiques. Pourtant, les associations estiment que le nombre de Roms venant principalement de Roumanie, de Bulgarie et des Balkans n’a pas beaucoup varié depuis le début des années 1990 : entre 6 000 et 10 000 en France (dont 40% d’enfants)  [1]. Jean-Pierre Liégeois analyse la trop grande importance accordée au phénomène migratoire :
« Quand il est question de migration pour les Roms, c’est souvent avec une dramatisation des faits, dramatisation dont jouent aussi bien les ONG, tsiganes ou non, que les gouvernements et leurs délégations. “La migration des Roms” devient alors un épouvantail pour faire peur et pour se faire peur, et un glissement tend à se produire dans les discours politiques, qui font se réduire la réflexion générale concernant les communautés tsiganes à un “problème” de migration »  [2].
Armés de cette perspective, les États européens adoptent très tôt des politiques bilatérales pour faciliter l’expulsion des Roms. Ainsi, en 1994, le gouvernement français signe avec son homologue roumain un accord de rapatriement des personnes en situation irrégulière. L’Allemagne l’a précédé en passant dès 1992 une convention de rapatriement avec la Roumanie. Si ce texte concerne tous les citoyens roumains, il ne tarde pas à recevoir le surnom de Zigeunerprotocol, tant il semble cibler les Roms [3]. Par ailleurs, c’est également en 1994 que la Roumanie devient signataire de la convention de Genève : aussi est-elle désormais considérée comme un « pays sûr », ce qui rend pratiquement impossible pour les ressortissants roumains d’obtenir l’asile.
Au niveau de l’Union européenne, la « question rom » devient l’un des enjeux des négociations d’adhésion des États de l’Europe centrale et orientale à l’Union. Jean-Pierre Liégeois souligne l’ambiguïté de la position européenne :
« Les anciens États de l’Union européenne qui mettent en exergue la situation des Roms dans les États candidats ou nouveaux états membres font oublier que la situation laisse aussi beaucoup à désirer chez eux ».
En France, les rapports publiés chaque année par le réseau Romeurope. pointent des difficultés considérables pour ce qui concerne l’accès à l’école, aux soins et au logement. Sans droit au travail, les Roms vivent de mendicité, de récupération et s’entassent dans des squats, des terrains vagues insalubres, dont ils sont régulièrement expulsés. En février 2000, la Roumanie commence officiellement les négociations pour adhérer à l’Union Européenne et, le 1er janvier 2002, les visas sont supprimés pour les Roumains et les Bulgares désirant entrer dans l’espace Schengen. Ils peuvent y circuler à titre touristique pour une durée de quatre-vingt-dix jours. Toutefois, l’État français exhume un article oublié (5-1-c) de la convention d’application de l’accord de Schengen : on y lit que l’admission sur le territoire européen
« peut être accordée à l’étranger dispose des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ».
Et ce pour un séjour n’excédant pas trois mois. Les ressortissants doivent donc faire preuve, lors de l’entrée sur le territoire, d’un capital suffisant, soit 100 euros par jour (et pour un séjour minimum de cinq jours, de sorte qu’il leur faut montrer au moins 500 euros), d’une assurance maladie valable à l’étranger et d’un billet aller-retour. L’objectif poursuivi consiste clairement à réduire les mouvements migratoires des populations pauvres et leur liberté de circulation. Les associations évoquent un « délit de pauvreté ». Sans être désignés, les Roms sont clairement dans la ligne de mire.
Et de fait ils vont devenir une population particulièrement facile à expulser. D’après la Cimade, en France, en 2006, les Roumains et les Bulgares représentaient près de 30% des reconduites à la frontière exécutées par la France :








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