dimanche 1 février 2015

J'ai bien connu ta mère de Claude-Sophie Gibrat.



Carcassonne - mars 2006 
Éloge funèbre de Susan - par Camille
Elle me disait :

À Axillan, pendant la guerre d’Espagne, on entendait le canon de l’autre côté des Pyrénées et j’avais peur.
Quand j’ai perdu ma mère, en 1938,  je ne suis plus retournée à l’école, je suis restée avec mon père ; je n’ai pas trop souffert de la mort de ma mère, mon père était très présent pour moi.
La guerre de 40 a été une période qui m’a beaucoup marquée, mais nous n’avons jamais eu faim à Axillan, ton grand-père allait s’approvisionner à la montagne.
En décembre 1942, nous avons dû héberger deux soldats allemands à la maison et mon père a placé un verrou sur la porte de ma chambre. 
Plus tard, nous avons eu un parachutage des Américains, des sacs entiers de raisins secs ; j’avais fait un petit trou dans l’un d’eux et la nuit, j’allais en manger en cachette ; pour la première fois, j’ai mâché des chewing-gums.
Je ne pensais pas que je pourrais avoir un enfant et puis un jour, longtemps après mon mariage, j’ai été enceinte ; j’étais persuadée que j’accoucherais d’un garçon, c’est peut-être pour cela que je t’ai appelée Camille ; j’avais choisi également Dominique ou Claude ; ton père voulait t’appeler Annie, mais j’ai tenu bon.
C’est à ce moment-là que nous avons quitté la vieille maison, j’ai été épatée par le confort de notre nouvelle demeure ; ton grand-père est venu vivre avec nous, tu grandissais bien, tu étais sage et fantaisiste à la fois, je crois que cette période a été la plus heureuse de ma vie.
Quand ton grand-père est mort, je suis tombée malade et tu venais me voir à l’hôpital avec ton père.
J’ai toujours écrit, depuis mes 19 ans, l’écriture a vraiment été la compagne de ma vie ; avec les chats, les chats sont les amis silencieux des gens qui écrivent.
J’ai été heureuse quand tu m’as dit que tu aimais René Char.
Je pensais que tu écrirais, toi aussi, mais tu as trouvé la peinture, et la psychologie. 

Plus tard, elle m’a dit :

J’aime repasser, c’est une activité calme et solitaire, qui laisse de la place pour penser, et puis j’adore l’odeur du linge propre dans la vapeur du fer.
Je n’aime pas l’automne, je crois que c’est la période de la guerre qui m’a fait détester cette saison ; je suis toujours angoissée en automne.
J’ai toujours écrit mon prénom Susan, à l’anglaise, mais je suis la seule à le faire, avec toi, de temps en temps ; d’ailleurs ça ne plaît pas à ton père…
J’ai vu à la télé « Sur la route de Madison », j’ai adoré ce film, je l’ai acheté en cassette et je l’ai revu de nombreuses fois.
Une vie passe vite, tu sais, essaie de profiter de tous les instants.

Plus tard encore :

J’ai une jolie chambre à l’hôpital, tout le monde est gentil avec moi et les transfusions ne sont pas douloureuses.


Ton père vient me voir tous les jours, il se débrouille bien, seul à la maison. Les derniers temps, avant mon hospitalisation, nous allions promener en voiture tous les après-midis, dans les coins que nous parcourions en vélo pendant la guerre, j’ai bien aimé ces promenades.
Je ne pensais pas que tu viendrais me voir chaque semaine, tu habites si loin, mais quand tu entres dans ma chambre, c’est comme si le soleil m’inondait, je te trouve magnifique et si sereine !
L’infirmier m’a levée et m’a montré une biche qui courait sur la colline, un moment merveilleux…
Je pense au chat, j’espère qu’Étienne s’occupe bien de lui…
Je ne crois plus en grand-chose, tu sais, religion, politique, tout s’est évanoui, tout a été trop sali… »

Le printemps reviendra, c’était sa saison préférée.
Le soleil envahira à nouveau la vallée et ses rayons éclaireront le vide de la maison.
Les violettes refleuriront au bord du chemin qui longe la rivière, la promenade que nous faisions toutes les deux, les après-midis de mon enfance.
Mon père repartira à la pêche.
Jean et moi retournerons en Italie, pour nos vacances, et nous nous remettrons à peindre. 
Et, sur le mur du jardin de la maison d’Axillan, dans une tache de soleil, le chat gris l’attendra encore…


Un seul mot : Émotion !

5 commentaires:

  1. Emotion garantie, en effet !
    Je suis très heureuse de voir que le livre de Norma continue son chemin de lumière.
    Je t'embrasse

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    1. Quand je rencontrerai Norma, on parlera du livre :)
      Passe une belle semaine.
      Gros bisous :)

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    2. C'est un moment que j'aimerais tant partager avec vous deux, l'occasion de parler et du livre et de nous.
      Gros bisous

      J'espère que tu t'es remise de ton voyage très singulier et stressant. Repose-toi maintenant que tout est revenu au calme et à la normale !

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    3. Cet été j'ai le projet de prospecter sur la Côte d'Azur, donc j'aurais l'occasion de rencontrer Norma et d'autres copinautes :)

      Mon voyage m'a laissé un énorme refroidissement, nous sommes restés beaucoup trop longtemps dehors.

      Bisous !

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    4. Merci à toi, Nadezda, j'espère que tu vas mieux maintenant.
      En attendant ton voyage dans le sud, tu peux toujours m'envoyer un e-mail si tu souhaites me parler du livre, ou si tu souhaites me parler tout simplement...
      Je t'embrasse.

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